L'EVOLUTION DU DROIT DE LA FAMILLE

Colloque droit de la famille organisé en 2006 par l'Association de Juristes en Polynésie française - VISIO-CONFERENCE

MERCREDI 25 OCTOBRE 2006 - Visio-conférence

Présentation de l’actualité juridique – Visio-conférence avec Paris (Assemblée Nationale)
Intervenants :
- Valérie PECRESSE, députée, rapporteur de la mission famille,
- M. pierre CATALA, professeur émérite d'université et commandeur de la légion d’honneur,
- Jean-François de Montgolfier - Chef du bureau du droit des personnes et de la famille -Direction des affaires civiles et du Sceau - Ministère de la justice
INTERVENTION DE VALERIE PECRESSE

INTERVENTION de Valérie PECRESSE, députée, rapporteur de la mission famille,

Mme Valérie PECRESSE : Pendant un an nous avons travaillé sur la famille française pour essayer d’en tirer les grandes évolutions et en même temps aussi toutes les permanences puisqu’on parle toujours de l’âge d’or de la famille et l’âge d’or de la famille ce serait derrière nous ; en réalité, il y a beaucoup de choses qui n’ont pas changé en France dans le domaine de la famille. D’abord parce que la famille c’est toujours le lieu où les Français se sentent le mieux. Il y a 70 % des Français qui disent qu’ils se sentent bien et détendus en famille. Donc la famille reste une valeur et il y a beaucoup de permanences en matière de politique familiale en France. Par exemple, le fait qu’on fasse des enfants, qu’on a un taux de natalité qui est assez élevé par rapport aux autres pays occidentaux, le deuxième d’Europe, le fait que la plupart de ces enfants (80 % des mineurs sont élevés par leurs deux parents, ce qui bat en brèche la théorie selon laquelle toutes les familles seraient décomposées ou recomposées). Donc des permanences en matière familiale.

A côté de cela, il y a des évolutions très fortes.
La première grande évolution est ce qu’on appelle la désinstitutionalisation de la famille. C’est l’idée que l’on ne se marie plus. Et dans la famille française, on a maintenant la majorité des premiers nés qui sont nés hors mariage et on a encore à peu près 40 % des seconds qui naissent hors mariage. On ne régularise plus après l’arrivée du premier enfant par un mariage. Donc ce qui va faire famille aujourd’hui en France, c’est l’arrivée de l’enfant, ce n’est plus l’institution du mariage. Cela ne veut pas dire que l’on ne se mariera pas parce que le chiffre des mariages est encore relativement élevé, il reste relativement stable. Cela veut dire simplement que le mariage est déconnecté de l’idée de fonder une famille. Ca peut être l’idée de faire la fête, ça peut être l’idée de s’engager, ça peut être une preuve d’amour, on peut se marier avec des enfants, on peut se marier 2 ou 3 fois dans sa vie. L’institution du mariage a changé de nature. Et donc cette désinstitutionalisation pose beaucoup de problèmes au législateur. Et je crois que c’est l’une des évolutions majeures de la loi aujourd’hui que de se dire : « Comment on fait pour régler des situations quand la majorité des couples aujourd’hui, des jeunes couples, se met en dehors du cadre que l’on va construire ? » Ca pose des questions au législateur parce qu’on a toujours conçu la protection de la famille autour de l’institution du mariage. On avait des lois très contraignantes en matière de divorce parce que justement on voulait protéger les couples mariés, empêcher les divorces. On s’est aperçu qu’en réalité ces contraintes avaient peut-être l’effet pervers de dissuader, et notamment je pense à toute la génération des enfants du divorce, à les dissuader justement de se marier. Donc, aujourd’hui le législateur doit savoir faire évoluer les lois en simplifiant les choses, et en travaillant à pacifier tout ce qui est conflits intra familiaux, de façon à ce que l’institution du mariage ne devienne pas un repoussoir parce qu’elle met les gens dans un cadre administratif extraordinairement contraignant. Un exemple : On a travaillé sur la garde alternée, la possibilité pour les parents séparés de partager la garde de leurs enfants. Or il y avait des mouvements qui nous demandaient de revenir en arrière sur les lois de Madame ROYAL en matière de résidence alternée pour limiter la résidence alternée pour les tout petits en disant que cette résidence alternée est très dommageable aux tout petits. Il faut que les tout petits restent avec leur mère. Mais ce dont on s’est rendu compte, dans les couples de concubins qui se séparent, eux vont pouvoir organiser leur vie comme ils le veulent, et la vie de l’enfant comme ils veulent. Alors pourquoi faire peser de nouvelles contraintes sur les couples mariés qui divorce qu’on ne fera pas peser évidemment sur les couples de concubins qui se séparent, sauf s’il y a un conflit sur la garde de l’enfant, auquel cas le juge est amené à se prononcer. Mais il y a aujourd’hui tout un pan des familles qui s’organise en dehors de la loi. Et cela est vraiment un changement majeur que le législateur doit prendre en compte et c’est ce qui, à mon avis, va amener les grands changements en matière de politique familiale ou de droit de la famille dans les années qui viennent.

L’autre grand facteur, c’est la précarité des couples. On n’a pas encore atteint aujourd’hui le pic du taux de séparation des couples. Cela continue d’augmenter. Cela veut dire donc qu’il faut qu’on prévoit notre droit de la famille non plus comme un droit de la permanence mais comme un droit du changement. Dans une vie, aujourd’hui, on a 1 risque sur 2 de voir son couple se séparer dans les grandes villes. Ca veut donc dire qu’il faut qu’on fasse un droit de la famille qui protège la famille dans le cadre de séparation. On peut voir le verre à moitié vide ou le verre à moitié plein. Il y a ceux qui disent : « C’est très bien les séparations. Ca veut dire qu’on ne restera plus ensemble si on ne s’aime plus ». Ca veut dire qu’aujourd’hui, le couple est fondé sur l’affectif et que des gens qui, avant, étaient malheureux ensemble, ne seront plus malheureux ensemble, ils vont pouvoir refaire leur vie. Ca c’est le verre à moitié plein.
Le verre à moitié vide c’est se dire que dans une séparation, on rompt des équilibres, le déséquilibre financier, le déséquilibre affectif et qu’il peut y avoir de la souffrance à cette séparation. Et on pense surtout aux enfants. Donc l’objectif du législateur en matière de droit de la famille va aussi être de prendre des mesures pour gérer ces conflits liés à la séparation et gérer aussi l’après de la séparation, c'est-à-dire la question des familles monoparentales, des familles recomposées.

Mme Béatrice VERNAUDON : Est-ce que parmi les contre propositions que la mission a faites, est-ce qu’avant la fin de cette législature, nous allons connaître d’autres évolutions en matière de droit de la famille ?
Et enfin, quels sont d’après toi les thèmes, concernant la famille, qui vont faire l’objet de débats au moment des grandes élections que nous allons connaître l’année prochaine ?

Mme PECRESSE : On a fait un certain nombre de propositions sur la protection de l’enfance dans le cadre de la mission « famille », parce que la mission « famille » était « droits de la famille et droits de l’enfant » et les scandales d’Outreau, d’Angers, nous ont montré qu’en matière de protection de l’enfance, nous avions encore beaucoup de choses à faire. Et ces propositions en matière de protection de l’enfance ont été adoptées à l’unanimité du parti communiste jusqu’à l’UMP à l’Assemblée Nationale. Tous les membres de la mission Famille l’ont adopté, et nous avons un projet de loi qui est en train de passer en ce moment au Parlement, qui est passé au Sénat et qui arrive à l’Assemblée Nationale en Décembre et dans lequel nous évoquons toutes nos propositions en matière de protection de l’enfance.

Quels sont les grands axes de cette loi de protection de l’enfance ?

D’abord faire beaucoup de préventions parce qu’on a considérablement augmenté les budgets de la protection de l’enfance, mais en même temps, on est très bons pour traiter des problèmes quand on les a détectés et on n’est pas très bons en amont pour faire de la prévention quand un enfant est en danger, pour éviter que l’irréparable se produise. Or c’est un peu tard de s’inquiéter des enfants quand ils sont maltraités. Il faut s’en occuper bien en amont, au moment où le lien avec les parents a du mal à se faire, au moment où les conditions de vie de l’enfant se détériorent. Donc un projet qui a été sur la prévention. Un projet qui pose une question qui est était jusque là tabou, qui est la question du secret professionnel partagé entre tous les professionnels de l’enfance, qu’il s’agisse des médecins, des enseignants, des assistants sociaux, etc., la question des informations préoccupantes qui seraient partagées dans une cellule de signalement qui serait au Conseil Général, donc centraliser les informations et que tous les professionnels de l’enfance se parlent. C’était le deuxième volet.

3ème volet : C’est de cantonner la justice en matière de protection de l’enfance à la stricte nécessité, c'est-à-dire que son intervention soit strictement nécessaire parce qu’on s’est aperçu qu’il y avait un certain nombre de personnes qui saisissaient la justice quand elles avaient des soupçons en matière de protection de l’enfance, mais la justice est engorgée, la justice n’arrive pas à tout traiter, et en plus, très souvent, c’est une réponse sociale qui serait adaptée. Et dans l’autre sens, on a des gens qui n’osent pas saisir la justice parce qu’ils pensent que c’est ce qu’ils doivent faire mais dénoncer son voisin c’est quelque chose de très difficile, alors que si on leur expliquait et qu’on les informait de ce que la réponse sera sociale, c’est-à-dire que c’est le département qui va se saisir de la question et qui va apporter des réponses sociales à la détresse de telle ou telle famille, ça délierait les langues et ça empêcherait les gens de laisser des situations s’installer sans oser le dire parce qu’on ne dit pas des soupçons tant qu’on n’a pas de preuve. Donc une cellule de signalement centralisée au conseil général, le département en charge de la protection de l’enfance et la Justice quand c’est nécessaire uniquement. Et puis enfin, on propose toute une palette de nouvelles actions pour protéger les enfants pour que l’alternative ne soit pas : être en famille avec un éducateur qui vient ou bien être en foyer, qu’il y ait une palette d’interventions aussi : qu’on puisse placer un enfant dans un foyer uniquement pour le week-end, qu’on puisse prévoir l’intervention d’un éducateur de manière plus souple, qu’on puisse avoir des modes d’actions un peu différents, par exemple aussi travailler sur la famille, parce qu’on travaille beaucoup sur l’enfant mais pas beaucoup sur la famille. On a fait aussi une réforme pour améliorer le PACS qui est passée l’année dernière. On a fait une loi sur les violences conjugales qui a inclus un volet sur les mariages forcés. Tout cela est le résultat des professions de la mission famille.

Il reste un sujet très politique : la question du mariage et de l’adoption par les couples homosexuels qui est une demande qui a été formulée à la mission famille par les associations de droit des homosexuels. La mission famille sur cette question a choisi d’être extrêmement prudente. Parce que la majorité UMP-UDF de la mission a dit qu’il fallait considérer d’abord l’intérêt de l’enfant et qu’il n’était pas évident que l’intérêt de l’enfant soit qu’on bouleverse le droit de la filiation (qui est aujourd’hui un père, une mère, un enfant) pour dire qu’un enfant puisse avoir deux pères ou deux mères, même si on sait qu’aujourd’hui il y a un certain nombre d’enfants qui sont élevés par des couples de même sexe, dans des familles « homo parentales ». Cette situation là ne nous a pas conduits à proposer le changement du droit de la filiation parce qu’on a pensé que c’était un grand bouleversement de faire dire à la loi une fiction qui ne corresponde pas à la vérité de l’origine biologique de l’enfant qui a toujours un père et une mère. Donc on n’est pas allés sur ce chemin là. En revanche, on a proposé une amélioration du PACS et on a proposé une délégation de responsabilité parentale pour le beau parent qui se ferait en dehors du contrôle du juge. Ce serait une délégation donnée par les parents aux beaux-parents pour les actes de la vie courante de l’enfant et qui permettrait à toutes les familles recomposées et à toutes les familles homo parentales aussi, d’organiser leur vie, de sécuriser la situation de l’enfant. Sachant que dans le projet du Parti Socialiste il y a l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples homosexuels. Nous avons eu un vrai clivage droite gauche sur cette question, les socialistes de la mission votant contre le rapport de la mission famille sur cette question là.